Tout ce temps passé dans le désert, à l’affronter pour ta survie et il ne t’aura jamais paru plus incisif et violent qu’aujourd’hui, alors que tu lui fais lentement tes adieux. Aucune tempête à l’horizon, non. C’est en ton sein que l’orage est sur le point de se déchaîner. Cet ouragan que tu ne cesses de contenir pour ne pas risquer de perdre la raison, de faire de pauvres choix, des choix que tu regretteras.
Les occasions, elles, n’ont pas manqué. Elle était là, si près. Tu peux encore sentir le toucher de son foulard glissant sous tes doigts. Te remémorer la couleur de ses yeux, le teint de ses joues. Il t’aurait suffit de la saisir, de menacer sa vie, de la dérober un court instant. Tu aurais peut-être réussi à te pardonner un tel acte avec le temps. Oui. Si aujourd’hui le Prince se trouvait en sécurité, tu n’aurais par la suite éprouvé aucun scrupule à t’être emparé de la Princesse régalienne pour t’en servir de monnaie d’échange.
« Buvez. Il faut boire. Hm? » Par deux fois, Melchior, le guide voyageant à tes côtés sur sa monture, frappe ton bras de sa gourde.
Gorge sèche, tu refuses son eau et malgré son envie d’insister encore un peu, il finit par abandonner face à ton air résolut. Décidé à faire de ce voyage ta pénitence, tu ne t'autorises plus à boire, ni à manger avant d’arriver à destination. Tu es furieux. Furieux contre toi-même plus que quiconque. Il y a des mois, des années, que tu aurais dû agir et tu n’as rien fait. Après tout, veiller à la sécurité du Prince ne signifiait pas d’avoir à lui faire quitter sa prison. Tu craignais de commettre une erreur, d’empirer sa situation en te manifestant. D’un autre côté, tu commençais à penser que le pays victorieux serait un endroit bien plus sûr pour lui que sur ses terres où il serait accueilli comme le perdant. Celui qu’on aurait vite fait de pointer du doigt comme le coupable de tous les maux. Coupable de s’être fait avoir, de ne pas avoir réussi à déjouer les plans de l'ennemi, d’avoir abandonné son peuple…
Foutaises.
Ce devoir n’appartient pas à Kand’har.
Ce devoir, c’est le tient.
Longuement tu y as songé. Franchir les portes du palais, te rendre devant le trône, affronter le Roi. Affronter ce père qui te voulait mort… Revenir le hanter jusqu’à ce qu’il renonce et laisse partir son trophée. Tu es même prêt à lui offrir ce qu’il désire et quitter ce monde pour de bon pour qu’il n’ait plus jamais à se soucier de ton existence.
Des pensées irréfléchies, des sursauts de désespoir nés de la panique. Un marché tel que celui-ci ne garantira pas la survie du Prince. Si tu meurs, qui donc le mettra à l’abri? Si tu dois mourir alors, tu t’assureras tout d’abord de transmettre ce devoir à quelqu’un. Quelqu’un capable de l’accomplir.
C’est pourquoi tu dois te rendre à Srinaï.
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