« Voilà pour toi. »
Sept écus, pas un de plus ou de moins. Assez pour faire trempette une dizaine de minutes et déguster quelques friandises autour d’un thé. Tu remercies sobrement la main qui te paie, sueur au coin des tempes, puis par te changer. Iordanis aime bien t’avoir sur le chantier. Tu travailles dur et ne te plaint jamais. Le seul problème, c’est qu’il paie très mal et ce n’est pas les verres qu’il vous offre à toi et aux trois autres, pour se sentir moins coupable, qui t’aidera à mettre de côté.
Après les bains, tu rases les allées, t’engouffres dans les ruelles, observes chaque recoin isolé du centre-ville. Le faucon doit manger. Alors tu cherches, que ce soit des trous à enfumer ou des pièges à rats. Un chat posté sur une caisse te nargue, léchant ses babines, sans doute après avoir apprécié un délicieux repas.
« File. » Tu le houspilles d’un geste de main en te rapprochant et il se hérisse de tout son poil, sa queue soudainement touffue. Feule. Puis saute de la caisse et s’enfuit.
Les restes sont là, pauvres en chair, mais toujours là. L’oiseau ne te remerciera pas d’un si maigre festin, tu crains qu’il finisse par se vexer. Emballé dans un mouchoir de tissu fin, tu ranges ta trouvaille dans le sac qui frappe ta hanche, solidement attaché à ton ceinturon. En reprenant ta route, tu sentis comme l’étrange impression d’être épié.
Plus les jours passaient et plus cette paranoïa grandissait. Celle de te faire reconnaître. Tu avais fait la guerre à ce peuple. Malgré l’horreur de ce souhait, tu espérais sincèrement avoir tué tous ceux que tu avais violemment rencontré dans la mêlée deux ans auparavant.
Pour une fois, tu ne t’imaginais pas des choses. Quelqu’un, ou quelque chose, te suivait. Au vu du bruit qui venait de résonner derrière toi, une chute sous le poids d’un humain. Évidemment, ton premier réflexe fût de t’imaginer qu’un assassin venait de descendre d’un toit pour t’attaquer, mais tu n’es pas rapide, bien au contraire. Cependant, aucune lame ne t'avait encore transpercée.
Avec curiosité tu t’étais retourné, peut-être qu’il s’agissait d’un de tes camarades essayant également de se montrer discret. Non. Rien de tout ça.
Navré de devoir le décevoir, tu t’apprétais à corriger ce jeune homme sur ton statut, quand l’étude de son visage te révéla qu’il ne s’agissait pas d’un inconnu. Dans un silence suspendu, une question se posa. Pourquoi donc le prince Ismaël se retrouve-t-il ici sous tes yeux? Ce n’est pas une farce ou bien ce garçon est sa doublure. Ce qui expliquerait le fait qu’il soit complètement seul. Tu as vérifié, il n’y a que vous dans cette ruelle, aucun garde, aucune escorte.
« Navré de vous décevoir mais, je ne prétend répondre à aucun titre. La lame est un souvenir régalien et ce qui la rend légère entre mes mains, c’est de ne porter aucun nom. »
Ton jeune frère te semble être bien curieux et tout aussi téméraire. Ta raison te prie de passer ton chemin, mais ton coeur lui, passé la surprise, désire savourer ce moment. D’un geste lent et calculé, l’épée est sortie de son fourreau.
« Essayez, tenez la. » Un genoux fléchi, tu te fais plus court pour aborder sa taille en lui présentant des deux mains, comme un soulier à enfiler.
Sa carrure ne présage pas qu’il sache manier une arme de cette envergure, tu ne risques pas de te faire blesser par un coup maladroit.
« J’ai également une question pour vous. » Avec ce nouveau point de vue, tu peux plus te tromper. Tes sourcils se froncent, interrogés et là, tout au fond de ton oeil unique, l’inquiétude. « Que fait le prince cadet hors du palais et ce sans la moindre escorte? »
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